L’autorité

Comment l’autorité selon Dieu protège les vulnérables, renforce les communautés, et promeut l’épanouissement des êtres humains

Le sujet de l’autorité est épineux, et pourtant il touche à tous les aspects de notre vie. Nous sommes imbriqués dans un système de relations interpersonnelles au sein duquel nous ne pouvons échapper à l’autorité, que nous en ayons l’exercice ou que nous y soyons soumis (souvent les deux en même temps!). Tous ceux qui, par l’Histoire, on voulu abolir tout système hiérarchique en ont inexorablement créé un nouveau. Nous ne pouvons nous soustraire à la réalité de l’autorité. Ainsi, face à de mauvaises autorités, la solution n’est pas l’absence d’autorités, mais de bonnes autorités. Voici la thèse de ce livre, écrit avec réalisme et profondeur. 

C’est un ouvrage très riche. Je m’attarderai principalement sur les deux premières parties qui apportent les définitions et concepts de base pour le reste de l’ouvrage. Je me contenterai d’évoquer le reste sans entrer dans les détails. J’offrirai quelques commentaires en cours de route avant une évaluation finale. 

Partie I : Qu’est-ce que l’autorité ? 

En première partie, Leeman nous aide à comprendre l’autorité à travers le prisme de trois étapes du récit biblique : la création, la chute, et la rédemption. Dans la création, Dieu créa l’Homme et lui donna autorité sur sa création pour qu’il reflète l’autorité divine au monde. L’autorité est un don de Dieu. Dans l’intention créationnelle, l’autorité est donnée pour quatre raisons : 

  • Faire grandir ceux sous l’autorité.
  • Faire grandir ceux ayant l’autorité.
  • Créer des groupes (en liant des personnes ensemble pour l’accomplissement d’un objectif donné).
  • Enseigner sur le caractère de Dieu (29).

«L’autorité est le droit moral d’utiliser son pouvoir (capacité à faire quelque chose) pour prendre des décisions »

Leeman

Voici la définition donnée par Leeman : «L’autorité est le droit moral d’utiliser son pouvoir (capacité à faire quelque chose) pour prendre des décisions » (24). Autrement dit, l’autorité consiste en l’autorisation morale d’utiliser son pouvoir. 

En raison de la création, l’autorité humaine n’est jamais intrinsèque. Elle est dérivée de l’autorité divine. Ainsi, Leeman parle de l’autorité comme d’un « office » (26). Elle nous est donnée par un agent extérieur pour un objectif précis avec des responsabilités particulières. Ainsi donc, la juridiction et longévité d’une autorité est toujours limitée. 

Dans la chute, l’autorité est corrompue et son expérience devient mauvaise. Le cadre posé dans la création est subverti. Ainsi, au cœur de tous mauvais usages d’autorité se trouve « une créature qui croit occuper la même place que le créateur, réclamant les mêmes droits, le même pouvoir, et la même louange que le créateur » (35). En exerçant ainsi son autorité, on se fait totalement transcendant. On se place au-dessus de tous ceux autour de nous, sans la moindre reconnaissance d’une autorité supérieure à la nôtre. 

La tragédie d’une mauvaise autorité c’est qu’elle enseigne l’hérésie (37). En lien avec la quatrième raison d’être de l’autorité, l’abus d’autorité enseigne un mensonge à ceux qui y sont soumis sur la façon dont Dieu lui-même exerce son autorité. Elle donne une image pervertie de l’autorité divine. Cela est d’autant plus le cas dans des situations d’abus spirituels, où la parole de Dieu est utilisée pour justifier l’abus et maintenir le contrôle. Cela fait de l’abus d’autorité « un péché particulièrement odieux » à cause du mensonge qu’il répand sur Dieu et sur la façon dont il exerce son autorité (41).

Cela nous conduit à l’autorité restaurée dans la rédemption. Cette autorité supporte le coût, car elle intervient dans un monde déchu. « L’autorité dans la création pourvoit ; l’autorité dans la chute vole ; l’autorité dans la rédemption sacrifie. » (45) L’archétype de cette autorité est Jésus-Christ, qui dans son autorité suprême a sacrifié sa vie pour nous sauver (Marc 10.42-45). Par son autorité, Jésus nous délivre et nous rachète. Son exemple doit façonner l’exercice de notre autorité. L’autorité dans la rédemption s’abaisse pour aller là où règne le péché et les ténèbres pour délivrer et restaurer. Elle est coûteuse pour celui qui l’exerce. C’est là un marqueur essentiel d’une telle autorité : elle implique plus de souffrance et de sacrifices pour celui qui l’exerce que pour ceux qui y sont soumis. C’est une autorité qui conduit à la vie par le sacrifice de soi. 

Partie II : Qu’est-ce que la soumission ?

Qui dit « autorité » dit « soumission ». Voilà un mot qui nous fait grincer des dents. Pourtant, Leeman défend que la soumission n’a rien de mauvais en soi ; bien au contraire.  

La soumission est le chemin vers l’autorité (64). Selon le dessein de Dieu pour la création, tout le monde se soumet d’une manière ou d’une autre (65). Selon Leeman, la soumission implique deux choses : « s’en remettre par contrainte morale au jugement d’une autre personne et déployer ses ressources pour l’accomplissement du jugement de cette personne » (65). Ainsi, la soumission implique notre libre choix (free agency). Elle participe à la formation morale d’un individu (66). De plus, l’acte de se soumettre reflète Dieu, qui se « soumet » (improprement) à la loi de sa nature. Il reflète le Christ, qui se soumet au Père. En effet, exercer notre autorité selon Dieu nécessite que nous nous soumettions pleinement à lui (67). Selon la seconde partie de la définition, la soumission n’est pas un acte purement passif, mais elle implique de participer pleinement à l’accomplissement des objectifs de l’autorité en question. Ainsi, la soumission est constructive et productive.

La soumission envers des créatures n’est jamais absolue.

La foi précède toujours la soumission, et la soumission découle nécessairement de la foi. La confiance dans l’autorité en question est essentielle à la soumission (69). La soumission déshumanise-t-elle ? Seulement si la foi déshumanise. Plus encore, la soumission « implique l’exercice d’un libre choix ; elle est le chemin pour grandir ; elle est le chemin qui mène à l’autorité, parce que toute bonne autorité implique de se soumettre » (69). Il est essentiel d’apprendre à se soumettre avant de pouvoir diriger, non seulement parce que la soumission est une étape essentielle à l’autorité, mais parce que diriger nécessite de se soumettre à l’autorité qui nous a mis en place (71). Personne n’échappe à la soumission. Le refus de se soumettre est en réalité à la source de toute autorité abusive.

D’où vient l’obligation morale de se soumettre ? De Dieu et de Dieu seulement. « Aucune être humain ne possède d’autorité sur un autre être humain de façon inhérente » (71). C’est là que le concept d’autorité en tant qu’office entre en jeu : toute autorité que nous avons sur d’autres, nous l’avons en vertu d’un office qui nous est donné. Dans la soumission, c’est à un office qu’on se soumet, et non à une personne à proprement parler. Et en se soumettant à un office, on se soumet à celui qui a établi cet office (72), une chaîne qui remonte toujours à Dieu). 

La soumission envers des créatures n’est jamais absolue et a des limites :

  • Quand une autorité demande que l’on pèche (77).
  • Quand les demandes d’une autorité trouvent en dehors de sa juridiction posée par Dieu (77).
  • Quand une autorité agit pour nous faire indûment du mal (79).

Toute autorité terrestre est relative, seule l’autorité divine est absolue.

Le cadre théologique de l’autorité et de la soumission posé par ces deux parties est très bien argumenté et fidèle à l’Écriture. Il rend compte de la complexité de ces sujets (à la fois dans la théorie et la pratique). Il n’est pas basé sur certains versets seulement, mais sur une réflexion plus globale sur récit biblique. Par conséquent, ses conclusions ne sont pas biaisées par l’omission de données importantes mais font preuve d’une véritable pondération.

Partie III : 5 principes d’une bonne autorité

Chaque chapitre de cette partie développe respectivement les principes ci-dessous. 

  • Elle est redevable et se soumet à une autorité supérieure.
  • Elle ne vole pas la vie mais la crée.
  • Elle se laisse instruire et recherche la sagesse.
  • Elle n’est ni permissive ni autoritariste mais elle administre la discipline. 
  • Elle ne se protège pas elle-même mais elle supporte le coût.

Chaque chapitre contient des exemples à la fois positifs et négatifs illustrant ces principes, ancrés dans la Bible. Leeman donne des pistes concrètes pour grandir vers une autorité bonne et saine ainsi que des questions de diagnostic pénétrantes. Leeman nous donne une image plutôt compréhensive et convaincante des principes clés d’une bonne autorité. Bien exercer son autorité n’a rien de simple. Cela demande une réelle humilité, des sacrifices, et énormément de sagesse. Des chapitres ô combien bénéfiques pour toute personne en position d’autorité !

Partie IV : À quoi ressemble une bonne autorité à l’œuvre ? 

C’est ici que Leeman introduit la distinction entre une autorité de commandement et de conseil. L’autorité de commandement a reçu de Dieu le pouvoir de discipline, symbolisé par l’épée pour le gouvernement, les clés pour l’Église, le bâton pour les parents. L’autorité de conseil n’a pas ce pouvoir de discipline, mais elle conserve le droit moral de donner des directives qui lient, ou engagent (« bind »), la conscience (153). Ainsi, le mari ou les anciens d’une église n’ont pas l’autorité d’imposer leur autorité (il n’y a pas l’équivalent de l’épée, des clés, ou du bâton pour eux). Il semble à première vue que l’autorité de conseil est vidée de son pouvoir, mais c’est là que la dimension eschatologique devient clé: chaque conscience devra rendre compte devant Dieu de sa soumission face à ces autorités (tout comme chaque autorité rendra compte devant Dieu de la manière dont elle a exercé son autorité). Il n’est pas du ressort de l’autorité de conseil de juger et discipliner. 

L’autorité de conseil suit la logique de l’évangile.

L’autorité de conseil suit la logique de l’évangile (ou de la nouvelle alliance) : elle plaide plutôt qu’elle ne commande (164). Elle cherche à gagner les cœurs de ceux sous son autorité et non à les forcer. Elle ne cherche pas une soumission formelle et extérieure, mais une soumission heureuse et de bon cœur.

Leeman dédie un chapitre à chacun des offices suivants et y développe leur fiche de poste : le mari (conseil) ; le parent (commandement) ; le gouvernement (commandement) ; le manageur (commandement) ; l’église (commandement) ; l’ancien (conseil).

Chacun de ces chapitres est très éclairant. Il y fait clairement le lien entre la théologie des parties I & II, les principes de la IIIème partie, et ces offices avec leurs cadres et prérogatives spécifiques. La distinction entre autorité de conseil et de commandement est très pertinente et convaincante d’un point de vue biblique. Cette distinction désarme ceux qui pensent pouvoir utiliser la Bible pour abuser de leur épouse où de leur assemblée. De plus, le rapprochement entre l’autorité de conseil et la dynamique de la nouvelle alliance est extrêmement perspicace et rend ce type d’autorité d’autant plus attrayant. 

Évaluation

Voici un livre dont nous avions grand besoin. Il pose un nombre de concepts et de distinctions très importants pour bien comprendre l’autorité. Mais ce livre est également très concret et pratique. Il fait le lien entre la théologie et l’expérience quotidienne de l’autorité. L’ouvrage est écrit dans un style conversationnel, ce qui le rend tout à fait accessible. Il est parsemé d’exemples de vies qui permettent d’illustrer ses arguments. Il engage la réflexion et donne de quoi évaluer notre pratique à la lumière des Écritures. Il invite à la repentance. Enfin, il pousse à contempler et à chérir l’autorité du Christ, si bonne et bienfaisante.

Il faut ajouter que, dans cet ouvrage, Leeman est ouvertement congrégationaliste et complémentarien. Il ne s’en cache pas, mais cela ne concerne que quelques sections du livre. Ceux qui ne partagent pas ses opinions sur ces points pourront néanmoins bénéficier des arguments centraux et être stimulés dans leur réflexion sur ce sujet. Par la même occasion, il permet de corriger des fausses idées qu’on pourrait se faire sur le complémentarisme (qu’il oppresse les femmes, que les hommes ont tous les pouvoirs, etc…). Un ouvrage bénéfique sur ce plan également. 

Bref, il est destiné à devenir un ouvrage de référence sur le sujet de l’autorité. Tout pasteur, et plus largement toute personne en position d’autorité (d’après Leeman, la plupart des gens) devrait lire ce livre.  

Leeman, Jonathan. Authority: How Godly Rule Protects the Vulnerable, Strengthens Communities, and Promotes Human Flourishing. Wheaton, Illinois: Crossway, 2023.

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