Le raisonnement biblique: des règles christologiques et trinitaires pour l’exégèse

Comment intégrer doctrine et exégèse ? Ce livre répond à cette question avec brio, particulièrement vis-à-vis de la doctrine de la trinité et de la personne de Christ.

Dans « Raisonnement biblique », Jamieson et Wittman nous donnent une boîte à outils pour le raisonnement biblique (p. xvii). Par « raisonnement biblique », ils entendent l’intégration entre raisonnement exégétique et raisonnement dogmatique. Ces deux éléments s’enrichissent l’un l’autre dans un mouvement « de l’Écriture, avec l’Écriture, vers l’Écriture » (p. xviii). La collaboration de ces deux auteurs reflète ce mariage, l’un étant spécialisé en sciences bibliques et l’autre en dogmatique.

Après un préambule méthodologique, le corps de l’ouvrage développe cette boîte à outils. Elle est composée de principes théologiques et des règles d’exégèse correspondantes. Ces principes et règles se concentrent sur la doctrine de Dieu et de Christ pour deux raisons. D’abord, la personne de Dieu est au cœur de l’Évangile. Deuxièmement, c’est sur ces doctrines que le divorce entre exégèse et dogmatique est le plus marqué, en particulier dans le monde académique des sciences bibliques (p. xxi). Nous nous attarderons plus longuement sur le préambule (Partie 1) en raison de son importance pour le projet porté par ce livre avant de survoler les règles trinitaires et christologiques (partie 2). En guise de conclusion, nous offrirons une brève évaluation de l’ouvrage. 

Partie 1 : Raisonnement biblique

Les trois premiers chapitres forment un préambule méthodologique offrant une justification méthodologique pour l’approche prise dans les chapitres suivants. Le premier chapitre place le raisonnement biblique dans le contexte de la fin de la vie chrétienne : contempler la gloire de Dieu en Christ. Aujourd’hui, la gloire de Dieu en Christ, révélée de manière suprême à la croix, est présente parmi nous par le témoignage des Écritures (et l’ensemble des Écritures !). Ainsi, l’exégèse sert cette contemplation dans la mesure où « elle permet une perception spirituelle des vérités les plus profondes de l’Écriture concernant la gloire de Christ de façon à produire en nous du plaisir et à nous conformer à Christ » (21). Ainsi, le raisonnement biblique est une discipline fondamentalement spirituelle. Elle a pour objet la gloire de Dieu en Christ dans les Écritures et pour fin la contemplation de celle-ci. 

Le deuxième chapitre développe la pédagogie divine, ou « l’école de Christ ». Toute l’œuvre de Dieu et les Écritures font partie de sa pédagogie par laquelle Dieu nous apprend à le connaître et à voir sa gloire. Sa pédagogie s’adapte de façon que nous puissions la comprendre. Elle est graduelle : Dieu s’est révélé progressivement à travers l’histoire. Et elle est formative en ce qu’elle forme ses étudiants pour qu’ils deviennent parfaits (Matt. 5.48). La pédagogie divine renverse les barrières de notre finitude et de notre déchéance spirituelle. Elle ne fait pas que s’adapter à son audience, mais elle adapte son audience pour qu’elle puisse recevoir l’instruction. En effet, Dieu se crée une audience bien disposée au moyen de la folie de la croix et par l’Esprit (1 Cor. 1-2). Les étudiants de l’école du Christ par les Saintes Écritures doivent être disposés à être enseignés par le Maître, prêts à recevoir son enseignement sur lui-même. Ainsi, dans l’exégèse, Dieu est notre maître et pédagogue (40). 

Le chapitre trois présente la source et la pratique du raisonnement biblique. La source en est les Écritures, « la forme textuelle inspirée de l’enseignement de Christ par laquelle il est présent auprès de son peuple à travers le temps et l’espace, nous conduisant vers la sagesse » (41). En découlent deux règles. D’abord, l’Écriture doit être interprétée en tenant compte de son unité, les parties à la lumière du tout. Ensuite, l’Écriture doit être lue « de manière à voir la façon dont elle forme et présuppose une vision théologique plus large » (41). Ceci permet de comprendre la grammaire théologique et la syntaxe théologique des Écritures. 

Ce dernier point est important, car c’est ce qui conduit l’exégèse à la formulation doctrinale (l’ordre est important !). On parle de grammaire théologique car elle permet de comprendre le comment de ce qui est affirmé, en particulier à propos de Dieu et de Christ. L’exégèse nous mène à voir, par exemple, que Jésus est à la fois homme et Dieu (le quoi du texte). Mais comment est-ce possible ? Les pressions du texte nous poussent à poser ces questions et à y répondre d’une certaine manière. La réponse correspond à la vision théologique plus large, à la grammaire théologique. C’est là que la doctrine entre en jeu. Il est important de noter que la doctrine émerge du texte. Elle doit rendre compte des pressions du texte révélées par l’exégèse. Ce n’est donc pas une imposition au texte, mais plutôt une excavation de la sous-structure du texte. Ceci permet ensuite une exégèse plus profonde et perspicace. L’exégèse et la dogmatique se renforcent donc mutuellement, la première gardant toujours la priorité.

Partie 2 : Règles christologiques et trinitaires pour l’exégèse

Chaque chapitre dans cette partie présente un principe théologique avec sa ou ses règles correspondantes pour l’exégèse. Mettant en pratique les points méthodologiques énoncés plus haut, chaque chapitre suit la même structure. Il commence par un travail d’exégèse présentant les pressions du texte conduisant à la formulation de ladite règle. Il se termine ensuite par l’application de cette règle à l’exégèse de textes pertinents.

Au fil des chapitres, les auteurs discutent de doctrines centrales sur la personne de Dieu et du Christ et énoncent des distinctions essentielles pour parler avec justesse de la trinité et de la personne de Christ. Ainsi, les auteurs évoquent l’immutabilité divine, la distinction entre commun et propre concernant les personnes de la trinité, les opérations inséparables de Dieu, les appropriations divines, l’unité des deux natures du Christ, la communication des idiomes, l’exégèse partitive. Ces concepts sont toujours ancrés avec soin dans l’exégèse de l’Écriture, et ensuite appliqués de manière rigoureuse à différents textes difficiles.

Évaluation

Il s’agit d’un ouvrage de très grande qualité qui répond à un véritable besoin (malheureusement non-traduit à ce jour). Le divorce entre dogmatique et sciences bibliques a mené à une suspicion grandissante de la part d’exégètes vis-à-vis de formulations doctrinales portant pourtant le poids des siècles, notamment concernant la trinité et la personne de Christ. Cet ouvrage démontre avec succès que la suspicion n’a pas lieu d’être. De la formulation méthodologique à la mise en pratique, c’est du solide. Exégèse rigoureuse et formulation doctrinale pointue sont harmonieusement réunies ; fait rarissime dans la littérature !

Un livre très actuel donc, qui dialogue avec nombre de théologiens modernes. Mais un livre également ancré dans la tradition, avec un nombre très important de références, notamment à Augustin. Ceci ne rend la lecture que plus édifiante et riche.

Ce livre sera extrêmement bénéfique aux étudiants de l’Écriture qui n’ont pas de connaissance particulière en théologie. Si vous vous êtes grattés la tête en lisant la liste de concepts évoqués en partie 2, ne vous inquiétez pas. Les auteurs font un travail de vulgarisation remarquable, de telle sorte que je recommanderai la partie 2 de cet ouvrage comme introduction accessible à la doctrine de la trinité et à la personne de Christ (la partie 1 est plus complexe à appréhender).

D’un autre côté, les systématiciens en herbe qui ont plus de mal avec l’étude de versets et de péricopes bénéficieront largement de ce chef d’œuvre d’exégèse théologique, de raisonnement biblique. Un systématicien ne peut faire l’économie d’une exégèse saine et rigoureuse !

Bref, un ouvrage stimulant à mettre dans les mains de tout étudiant en faculté ou institut. Mon coup de cœur de l’année 2024 !

Jamieson, R. B., and Tyler R. Wittman. Biblical Reasoning: Christological and Trinitarian Rules for Exegesis. Grand Rapids, Michigan: Baker Academic, 2022.

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