Dieu le Fils Incarné : la Doctrine du Christ

La personne deJésus Christ est au cœur du christianisme. Mais qui est Jésus ? La thèse de Wellum est que Jésus est Dieu le Fils incarné. Cette proposition peut paraître banale pour des croyants, mais elle est en réalité très complexe. Cet ouvrage, découpé en quatre parties, est une exposition et une défense robuste de la christologie classique face à d’anciennes hérésies et aux reconstructions modernes.

Partie 1 : Justification Epistémologique pour une Christologie Aujourd’hui.

Dans ce premier chapitre, Wellum présente deux phénomènes épistémologiques qui ont exercé une influence considérable sur la christologie ces siècles passés. D’abord, l’épistémologie des Lumières, qui « limite la connaissance à ce qui peut être directement expérimenté par le sujet humain autonome alors qu’il expérimente et interprète le monde physique selon le contrôle de présuppositions du rationalisme méthodologique » (105). Elle rejette les Ecritures comme inspirées par Dieu et inerrante. Elle a notamment donné naissance à la quête du Jésus historique au travers de reconstructions historiques et littéraires (41). Ensuite, l’épistémologie postmoderne, qui rompt le lien entre le langage et la réalité et brise tout espoir de connaître une réalité objective. Elle conduit à une christologie pluraliste où chacun se fait son propre ‘Christ’ et où « Jésus n’est différent ni en nature ni en degré d’autres figures religieuses » (76). Bien que Wellum se contente de relever les implications de ces épistémologies pour la christologie, il est évident qu’elles ont eu un impact sur tous les aspects de la théologie. Il est donc important pour l’étudiant en théologie de se familiariser avec celle-ci, et Wellum en offre ici une bonne introduction.

Le second chapitre présente une épistémologie biblique pour la christologie en opposition aux égarements du modernisme et du post-modernisme. Il s’agit d’une épistémologie révélationnelle (« revelational ») qui prend sa source en Dieu et sa Parole, « qui est nécessaire et suffisante pour justifier et garantir notre christologie » (87).  Elle implique une christologie « d’en haut » et non « d’en bas » (86). Le point de départ doit être la révélation de Dieu par Dieu, et non la recherche historico-critique ou notre propre subjectivité.

Cette partie forme une bonne introduction à une critique de l’épistémologie moderne et post-moderne et à l’épistémologie biblique. Pour ceux qui ont déjà étudié ces sujets-là, il est tentant de vouloir sauter cette section. Pourtant, les ponts que Wellum fait entre ces sujets et le développement de la christologie de ces derniers siècles sont très éclairants et valent la peine de s’y attarder. Il s’agit véritablement de prolégomènes, des fondations sur lesquelles Wellum pourra construire une christologie biblique.

Partie 2 : Justification Biblique pour une Christologie Aujourd’hui.

C’est dans cette section que Wellum traite des données bibliques pour la christologie. Cette section est riche, car l’auteur ne se contente pas de citer des versets pour dresser un portrait de Christ. Wellum allie l’exégèse et la théologie biblique pour donner une présentation de Christ qui prend en compte l’ensemble des Ecritures. Il en résulte une présentation riche de la personne du Christ dans le contexte de l’ensemble du canon et de l’histoire de la rédemption. La conclusion de ce travail est claire : Jésus est à la fois Dieu et homme. Wellum traite brillamment des passages christologiques clés montrant à la fois l’humanité et la divinité de Christ, et montre à la fois par l’exégèse et la théologie biblique l’importance de cette réalité pour l’œuvre du Christ.

Partie 3 : Justification Ecclésiologique pour une Christologie Aujourd’hui.

D’entrée de jeu, Wellum clarifie la place du témoignage de l’Eglise dans l’entreprise de la théologie. L’Ecriture seule a une « autorité magistérielle ». Le témoignage de l’Eglise a « une autorité ministérielle ». Ainsi, « notre articulation de la doctrine doit être gouvernée par l’Ecriture et guidée par l’histoire de l’Eglise » (254). Wellum présente ici le développement de la christologie de l’ère postapostolique jusqu’au 3ème concile de Constantinople (681), avec une attention particulière au concile de Nicée et de Chalcédoine. Sa présentation est rigoureuse. C’est ici que les choses deviennent complexes d’un point de vue théologique. Wellum est soucieux de bien définir les termes et concepts, de sorte qu’un novice en théologie devrait pouvoir suivre (bien qu’il faille bien s’accrocher, et sûrement relire certains paragraphes plusieurs fois !). Son travail est rigoureux. Il présente par ordre chronologique les figures majeures ayant contribué à l’articulation de la doctrine du Christ, mettant en lumière à chaque fois les façons dont les différentes hérésies christologiques ont conduit à une doctrine toujours plus claire et précise.

Pour toutes personnes voulant étudier l’histoire de la christologie, cette section est à lire absolument. C’est également dans cette section que Wellum introduit des concepts christologiques clés sur lesquels il reviendra constamment dans sa dernière partie. Je soulignerai le plus important, puis noterai en passant quelques autres.

  • La distinction, fondamentale à la christologie, entre « personne » et « nature ». Une personne est « une substance individuelle appartenant à une nature raisonnable » (définition de Boèce). Il s’agit du sujet actif (le « je ») qui subsiste dans une nature. La nature est « l’emplacement métaphysique des attributs et capacités, incluant la volonté, la pensée, et autres composants psychologiques »[1]. Une personne n’est pas la même chose qu’une âme (425). Appliqué à la trinité, il y a une nature divine dans laquelle subsiste trois personnes. Appliqué à la christologie, Christ est une personne possédant deux natures.
  • L’enhypostase : le sujet de l’incarnation est Dieu le Fils qui ajoute à sa nature divine une nature humaine complète (corps et âme) (318).
  • Cela implique que Christ a deux volontés, la capacité de volonté étant propre à une nature plutôt qu’à une personne. Il s’agit du dyothélisme. Entre autre, cela assure que l’obéissance de Christ envers son Père était bien une obéissance humaine (car provenant d’une volonté humaine), ce qui est nécessaire au salut de l’Homme.
  • L’extra Calvinisticum exprime que « dans l’incarnation, le Fils n’a pas seulement conservé ses attributs divins mais a continué à les utiliser en relation avec la trinité » (333).

Il est impressionnant de voir le raffinement progressif de la christologie jusqu’à Constantinople III (681), où le dyothélisme a été clairement formulé et le monothélisme (une seule volonté en Christ) condamné. Les acquis de ces différents conciles ont été acceptés par les théologiens les plus éminents au fil des siècles. Pourtant, cette conception classique de la christologie a été remise en question ces dernières années, même par certains évangéliques.

Partie 4 : Une Christologie pour Aujourd’hui Justifiée.

Dans cette partie, Wellum présente les défis présenté par des christologies dites kénotiques, même au sein du mouvement évangélique. Il y répond, et met en avant une robuste présentation de la christologie classique (et biblique !) pour aujourd’hui.

Je me contenterai de couvrir brièvement les formes « évangéliques » de christologie kénotique, car ce sont elles qui devraient le plus nous préoccuper. Elles se découpent en deux camps, la Christologie Kénotique Ontologique (CKO), et la Christologie Kénotique Fonctionnelle (CKF).

La CKO argumente que le Fils a abandonné certains attributs divins dans son incarnation, afin d’expérimenter une vie véritablement humaine. Selon certains, le Fils retrouve tous ces attributs dans sa glorification. Pour d’autres, ils sont laissés de côté à jamais. Afin de permettre au Fils de demeurer divin alors qu’il perd certains attributs divins, la CKO doit redéfinir la doctrine de Dieu, qui possède désormais des attributs accidentels (i.e. non-essentiel ; cela va à l’encontre de la simplicité divine, de l’unité de son essence qui ne peut être découpée en parts comme un gâteau). Il en résulte un autre Dieu que Yahweh.

Ensuite, la CKO redéfini une « personne » comme un « centre distinct de connaissance, de volonté, d’amour, et d’action » (378). Essentiellement, elle place les capacités de la nature (volonté, pensée) dans la personne. Cela implique un rejet de l’extra Calvinisticum car le Fils est désormais contenu dans son corps humain, et l’adoption d’un trinitarisme social (avec par exemple trois volontés en Dieu). Bien que la CKO se dit être dans les limites de chalcédoine, elle en a radicalement redéfini les termes.

La CKF est moins radicale que la CKO. Elle propose que le Fils a arrêté d’utiliser ses attributs divins durant son incarnation (plus ou moins continuellement selon ses défenseurs), expliquant les miracles du Christ par son onction de l’Esprit-Saint. La CKF suit la CKO dans sa redéfinition de personne et de nature. Ainsi, le Fils éternel est devenu l’âme du corps humain de Christ (au lieu d’avoir assumé une nature humaine complète : un corps et une âme). En conséquence, le Christ n’avait pas d’âme humaine, et n’avait qu’une volonté (monothélisme).

Bien que ces christologies kénotiques se veulent de meilleures explications de l’incarnation que la christologie classique, Wellum démontre qu’elle ne le sont pas. Au contraire, elles créent plus de problèmes qu’elles n’en résolvent. Elles sont problématiques sur le plan de la doctrine de Dieu et des relations intra-trinitaires, sur leur présentation de la divinité de Christ, sur leur compréhension de « personne » et sur l’humanité de Christ. Ces christologies se vantent de présenter un Christ plus humain, mais ce Christ s’en trouve vidé de sa divinité et plus qu’à moitié humain, car ne possédant pas d’âme ou de volonté proprement humaine.

Dans le 13ème chapitre, Wellum formule une christologie orthodoxe pour notre temps. Ce chapitre est marqué par trois affirmations qui marquent les limites de l’orthodoxie (423). D’abord, « la personne de Christ est Dieu le fils en relation éternelle avec le Père et l’Esprit » (424), où l’on trouve une défense de la définition classique de « personne ». Ensuite, « la personne divine du Fils subsiste pour toujours dans la nature divine et dans une nature humain entière et impeccable (i.e. sans péché) ». En d’autres mots, « l’incarnation est une addition, et non une soustraction » (433). Enfin, « La nature divine et humaine de Dieu le Fils persistent pleinement et distinctivement alors qu’il agit à travers chacune selon leurs attributs ». Il s’agit bien d’un tel Christ dont nous avons besoin pour notre rédemption.

Bref

Ce livre est un véritable monument, digne d’un manuel de Christologie pour faculté de théologie. Son examen de la doctrine est approfondi, rigoureux, cohérant, et stimulant. Il interagit avec des théologiens du présent et du passé à la pointe de la christologie. Si vous ne pouvez lire qu’un livre sur la christologie, c’est bien celui-ci que je vous recommande. Théologiens comme néophytes en bénéficieront. Cette recension n’a pu faire justice à la qualité de ce livre, encore moins à la profondeur de la doctrine et personne du Christ, mais j’espère qu’elle vous a donné envie de creuser ce sujet glorieux !

Wellum, Stephen J. God the Son Incarnate: The Doctrine of Christ. Wheaton, Illinois: Crossway, 2016.


[1] Il vaut la peine de clarifier qu’une nature n’a pas d’existence propre. Par exemple, une nature ne pense pas, ni ne veut. C’est la personne qui pense ou veut au moyen de l’esprit ou de la volonté propre à sa nature. Ainsi, les deux natures de Christ n’ont pas d’existence indépendante de la personne de Christ (il n’y a pas deux agents en Christ).

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